Le 12/04/2016 | Comment sauver le réseau officinal?
Le réseau officinal français, un des plus denses au niveau européen a permis pendant très longtemps d’offrir aux patients un accès aux soins de premier recours optimal. Pourtant, aujourd’hui, le risque de voir apparaître des déserts pharmaceutiques (s’ajoutant aux déserts médicaux) est bien réel.
Les difficultés économiques, le départ des prescripteurs, la non reprise des officines… sont désormais une réalité à laquelle la profession est confrontée. L’enjeu est majeur en termes de santé publique, mais également pour la survie de la profession, menacée par l’entrée de nouveaux acteurs sur le secteur du médicament (GMS, web).
L’ensemble des professions de santé est confronté à ce problème, alors que paradoxalement, il n’y a jamais eu autant de médecins et de pharmaciens…. Mais sont-ils bien répartis sur le territoire ?
La question du réseau officinal ne peut se contenter d’une approche numéraire, en fonction des lieux d’implantation d’officines. Il est important de mener une réflexion globale sur la nécessaire évolution du métier, la rémunération, l’attrait des jeunes générations…
Trop peu de regroupements Les regroupements ne sont pas assez nombreux et se font plus souvent en régions qu’en métropoles.
L’UNPF préconise de supprimer les 5 années pendant lesquelles il est impossible de revendre son officine après un transfert ou un regroupement. Cela permettra au réseau de continuer à évoluer.
Aujourd’hui, lorsque 2 officines se regroupent, le nombre de licences exploitées comptabilisé est le même qu’avant le regroupement (afin de garantir qu’un concurrent ne viendra pas s’installer). Après un délai de 5 années et si les besoins sont réels, cette modalité de dénombrement peut être réexaminée. Nous proposons d’étendre à 10 ans ce délai (5 ans renouvelable une fois) sauf nécessités particulières liées à un déficit avéré de l’offre.
Nombre et répartition pas toujours en adéquation Le nombre de fermetures d’officines à Paris et en Ile de France est très important et pourtant cela n’a pas engendré d’effet « d’aubaine » sur l’économie des officines restantes (près de 14% de fermetures à Paris et 16% en Ile de France sur les 5 dernières années).
Une analyse plus fine devrait être réalisée sur les territoires fragilisés en fonction du chiffre d’affaire des officines, de l’âge des pharmaciens titulaires, de la démographie médicale environnante (patientèle), de la population effectivement résidente et des zones d’activités.
Manque d’attractivitéLes contraintes économiques fragilisent de plus en plus le réseau, mais l’économie n’explique pas tout. Parmi les 183 (chiffre présenté par l’Ordre des pharmaciens à PharmagoraPlus) officines qui ont fermé en 2015, la moitié n’avait pas de repreneur.
Le risque de voir apparaître des déserts pharmaceutiques est bien réel avec les conséquences humaines et sociales que cela entraîne, l’officine étant souvent le dernier « commerce » présent dans certains quartiers sensibles ou zones rurales.
On constate actuellement l’apparition de « zones fragiles » ou « en risque de fragilisation » concernant l’accès aux médicaments pour déjà 6% de la population française.
Le réseau pharmaceutique est corrélé à la démographie médicale, à la population résidente et aux flux de population.
Il faut réussir à résoudre toutes ces équations en laissant un minimum de liberté et de dérogations localement pour les cas particuliers.
Quelques chiffres préoccupants :
- 3 300 adjoints, soit 12 % étaient en recherche d’emploi en décembre 2014. Ce taux a augmenté de 60% en 5 ans ;
- 12 000 pharmaciens et préparateurs au chômage (+2000 en 4 ans) ;
- 1 pharmacie ferme tous les 2 jours ;
- 1 jeune diplômé sur 4 ne s’inscrit pas à l’Ordre ;
- 1 pharmacien titulaire sur 3 (9000) a 56 ans et plus et partira en retraite dans 10 ans ;
- 3095 pharmaciens sont formés chaque année, mais 40% seulement s’orientent vers l’officine et seule une minorité envisage de s’installer.
La profession de pharmaciens est aujourd’hui à la croisée des chemins. Seule une évolution profonde du métier, orientée vers plus de services pour les patients, pourra générer des revenus intellectuels qui permettront de la rendre de nouveau attractive et d’attirer les jeunes.
Il faut également prendre en compte la volonté des jeunes de ne pas exercer le métier comme il l’est actuellement, mais d’exercer le métier pour lequel ils ont été formés, c’est-à-dire développer les compétences et la qualité au comptoir au service des patients.
Une évolution inéluctable du métier et de la rémunération
Sauver le réseau et préserver le maillage officinal sur le territoire nécessitent de revoir l’exercice au quotidien et de recentrer le pharmacien sur son cœur de métier. Il pourra développer des services à forte valeur ajoutée et percevoir une rémunération pour cela :
- Améliorer l’observance par l’observation et la conciliation ;
- Etablir des plans de prise ;
- Etablir des protocoles de délivrance (équivalents thérapeutiques en cas de ruptures, panier de soins…) ;
- Favoriser la spécialisation des pharmaciens ;
- Mettre en place la prescription pharmaceutique pour l’OTC ;
- Développer la PDA en Ehpad et au comptoir ;
- Développer l’interprofessionnalité en faisant du pharmacien « un guichet d’entrée » dans les déserts médicaux …
Le modèle économique sur lequel repose la pharmacie d’officine, uniquement basé sur les volumes, est obsolète.
L’UNPF se bat pour mettre en place une rémunération la plus en adéquation possible avec l’exercice professionnel, qui serait basée sur des actes intellectuels. Cette évolution de la rémunération des pharmaciens permettrait non seulement de renforcer la valeur ajoutée du pharmacien, mais aussi d’aller vers plus de qualité, de prévention et d’économies pour la collectivité.
Dans la loi HPST, il est prévu que le pharmacien soit le professionnel de santé de premier recours, mais aucun décret d’application n’a été pris pour le mettre concrètement en place. De nombreux pays, ont quant à eux, déjà adopté de nouveaux modèles favorisant une prise en charge plus efficiente des patients (Canada, USA, UK, Suisse…).
Une expérimentation, réalisée au Royaume-Uni par le NHS[1] à Birmingham et dans le « Black Country », a démontré que la prise en charge des symptômes des patients directement par les192 pharmaciens de la région a permis de traiter 25 956 patients en 3 mois. Sur la totalité des patients pris en charge, 1% a été réorienté vers les urgences. Cette prise en charge par les pharmaciens a permis d’éviter 20 505 consultations de médecins généralistes et 1 344 passages aux urgences. Cette approche a permis de générer 46% d’économies par rapport au schéma de soins habituel (passage chez les médecins généralistes) soit une économie pour la collectivité de 144,000.00£. En outre, 93% des médecins généralistes interrogés se sont déclarés satisfaits de ce mode de prise en charge qui leur a permis de libérer en moyenne 2 heures de temps médical par semaine.
De la même manière, le « projet Ashville » au Canada a démontré que la prise en charge du diabète par les pharmaciens avait permis d’améliorer la santé publique et de réduire les coûts pour la collectivité. En collaboration avec les médecins, les pharmaciens ont mené des séances d’éducation thérapeutique sur le diabète pour lesquelles ils percevaient une rémunération. Le projet a permis d’améliorer les résultats cliniques pour plus de 50% des patients, d’augmenter leur satisfaction à l’égard des pharmaciens et de réaliser une économie allant de 1 622 à 3356 dollars canadiens par an et par patient.
[1]NHS : National health Service